Le Dr Patrick BOUET, Président du Conseil de l'Ordre des médecins, répond au Figaro Economie (19 septembre 2014)

LE FIGARO. - Pourquoi êtes-vous contre le projet de loi santé ?

LE FIGARO. - Pourquoi êtes-vous contre le projet de loi santé ?

Patrick BOUET. - Nous sommes inquiets et perplexes. Ce texte apporte peu de solutions aux problèmes des médecins dans leur pratique et de réponses aux patients sur le terrain. C'est surtout un pas de plus vers une médecine réglementée et administrée, qui ne peut qu'entraîner un profond déséquilibre dans le système de santé. C'en sera fini de l'État qui garantit un égal accès à la santé sur le territoire. Les directeurs des agences régionales de santé (ARS) concentreront tous les pouvoirs, et, avec la réforme territoriale, ils superviseront des territoires considérables !

En quoi cela provoquera-t-il des inégalités pour les patients?

La santé, c'est comme la défense ou l'éducation nationale: c'est une mission régalienne. La régionaliser, comme Marisol Touraine entend le faire, c'est abandonner cette vision nationale. Prenons l'exemple de la permanence des soins assurée par les médecins libéraux. Aujourd'hui déjà, pour financer ces gardes, certaines ARS dépensent 1,50 euro par habitant, quand d'autres y allouent 5,50 euros! Demain pourra être pire.

Certains syndicats craignent que la liberté d'installation soit menacée. Vous êtes d'accord ?

Nous sommes, là encore, très inquiets. La loi ne menace pas la liberté d'installation, mais la manière de s'installer, en promouvant exclusivement les maisons pluridisciplinaires de santé, où seront centralisés généralistes, spécialistes, infirmiers et autres paramédicaux. En somme, nous revenons au modèle des dispensaires du début du siècle dernier! Tout cela alors que les praticiens sont aujourd'hui bien répartis sur le territoire, malgré ce qu'on en dit. Les médecins de proximité exercent encore dans des villages où il n'y a plus d'école ni de poste ! Comme si cela n'était pas suffisant, les directeurs des ARS pourront décider des lieux de stage des internes, ce qui, combiné à leur autorité sur les hôpitaux, leur donne des superpouvoirs !

La mesure phare du projet de loi, le tiers payant pour tous, est plébiscitée par les patients et rejeté par les médecins…

C'est une vraie fausse bonne idée. Une bonne idée, si le gouvernement précise que c'est pour éviter que des ménages ne se soignent pas pour des raisons financières. Mais ce n'est pas cette mesure qui va faire disparaître les insuffisances du système. Il faut surtout faire comprendre aux Français que la dispense d'avance de frais ne signifie pas santé gratuite pour tous, car c'est vous et moi qui finançons la santé. Enfin, le tiers payant ne doit pas compliquer la vie des médecins, ni renforcer le pouvoir de l'Assurance-maladie, qui aura la haute main sur leur trésorerie.

Comment réagissent les médecins sur le terrain ?

Je sens remonter un net sentiment d'inquiétude. Mes confrères ne comprennent pas une telle mise en cause et le refus des solutions avancées par la profession. Prenez les transferts de compétences: une sage-femme pourra décider de vacciner toute une famille. C'est complètement illisible pour le patient, qui ne saura plus vers qui se tourner pour tel ou tel soin! Hélas, depuis les ordonnances Juppé de 1995, nous subissons le même dogme qui veut que l'économie supplante la réflexion sur l'organisation des soins. La Cour des comptes en est la quintessence, qui pense qu'en sanctionnant les médecins, l'État résorbera le déficit! J'aimerais que la ministre de la Santé prenne la mesure du mécontentement qui gronde.

Propos recueillis par G. G.

lefigaro.fr